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J’étais dans une clinique le 14 mai dernier. Rassurez vous, je n’y étais pas pour un problème de santé. La clinique dont il est question ici n’est pas une clinique comme les autres. C’est la clinique des droits humains initiée par le réseau jeunes d’Amnesty Togo qui était à sa 6ème édition au siège de l’organisation. Il s’agit d’un rendez-vous mensuel où une problématique précise liée aux droits humains est examinée par un spécialiste puis débattue. Cette édition de la clinique des droits humains portait sur les avancées relatives à l’égalité dans le code togolais des personnes et de la famille.

Le thème présenté par Mikafui AKUE, chargée de projets au CICR a suscité d’âpres discussions sur certains points ayant fait l’objet de modifications  notamment la dot, le rôle de chef de famille et les successions.

Prisca Agbonegban chargée du militantisme
Prisca Agbonegban chargée du militantisme
Mikafui Akue lors de la présentation
Mikafui Akue lors de la présentation

Par souci de pédagogie la nomenclature du code régissant le droit des personnes et de la famille au Togo nous était présentée avant d’entrer dans le vif du sujet. En réalité le texte qui comporte 11 titres a été adopté en 1980 et subi des modifications en 2012 et en 2014. Ces modifications sont opérées en réponse aux recommandations faites au gouvernement togolais au cours de son dernier passage à l’examen périodique universel à Genève. Une relecture du code s’imposait au regard de certaines insuffisances reprochées au texte initial quant à l’égalité de droits entre l’homme et la femme dans le mariage. Aujourd’hui avec les articles retapés le code prend un coup de jeune. Il s’agit entre autres des articles 36, 37, 99, 100, 153, 403, 404, 419 et 420.

La dot

Le nouveau code a tenté un alliage de la coutume et du droit positif. Au Togo comme ailleurs en Afrique la dot qui relève de la coutume était dans les sociétés traditionnelles le moyen de sceller les liens du mariage. Même si les effets de la dot selon le droit positif ont changé, cette pratique reste dans la société moderne un préalable important au mariage. Elle vaut promesse de mariage entre  l’homme et la femme. Ce qui a plus retenu l’attention de l’assistance était la question du contenu de la dot. Le nouveau code semble avoir voulu apporter un début de solution à l’épineux problème de la surenchère en disposant en son article 36 que le montant de la dot ne peut excéder 10.000F. D’où la valeur symbolique que le code confère à la dot.

« La dot a le caractère de symbole. Elle peut être payée en nature ou en espèce ou sous les deux formes. Son montant ne peut excéder la somme de dix mille (10 000) francs ».

Malheureusement entre la lettre de la loi et la réalité un grand fossé demeure. La dot est symbolique certes mais le montant tel que fixé par la loi n’est pas socialement admis. Si vous vous hasardez à soumettre à vos futurs beaux parents une dot de cette valeur ils vous riront tout simplement au nez. J’ai d’ailleurs au cours du débat partagé les frustrations exprimées au sujet de l’opportunisme de certaines familles qui sans gêne portent le montant de la dot à un seuil excessif. Une telle pratique à la limite de la cupidité semble réduire la femme à une marchandise qu’on livre au plus offrant. Un travail d’éducation reste à faire en vue d’un changement de mentalités à ce sujet.

La direction de la famille

L’autre grand changement qu’apporte  le code est relatif à la qualité de chef de famille. Ce titre bien pompeux conféré au mari à l’article 99 lui a tout simplement été retiré par le nouveau code. Ce dernier reconnait aussi bien à l’homme qu’à la femme le pouvoir d’assurer la direction de la famille. Bien qu’étant objet de discussions ce nouvel article 99 à mon avis marque du moins au plan juridique une embellie bien appréciable.

En effet il rétablit l’égalité de droits entre les époux en mettant fin au déséquilibre lié au pouvoir de chef de famille exercé seul par le mari. Cette supériorité masculine consacrée dans le code  contredisait d’autres articles qui plaçaient les époux sur un pied d’égalité. D’où la nécessité de revisiter l’article pour rétablir une cohérence de la loi. Il était intéressant de remarquer à quel point les débatteurs étaient à couteaux tirés sur la question. Les détracteurs du nouvel article y voyaient un déni de nos réalités sociales et invoquaient les coutumes locales pour défendre l’image du mari qui règne en maitre absolu. A mon avis il se trouve pourtant que ce changement sert l’intérêt du mari dans la contribution aux charges du ménage. Le rôle prépondérant de l’homme en tant que chef de famille entrainait pour lui des responsabilités aussi grandes. Mais aujourd’hui un équilibre s’est établi en ce sens que les charges du ménage ne pèsent plus « à titre principal » sur le mari. L’obligation de contribuer aux charges incombe aussi bien à l’homme qu’à la femme en fonction de leurs facultés respectives. Autant dire que cette égalité de responsabilités n’est que le corollaire de l’égalité de droits dans le mariage.

Les droits successoraux

L’inégalité entre les époux dans l’ancien code était aussi de nature à favoriser une vulnérabilité de la femme dans des situations particulières notamment en matière de successions. Si le code togolais privilégie le conjoint survivant dans l’accès à la succession du conjoint défunt, il faut admettre que dans la pratique les choses ne sont toujours aussi simples pour le conjoint survivant lorsqu’il s’agit de la femme. En réalité à la lumière du code, ce sont les enfants du défunt et son conjoint survivant qui accèdent en premier lieu à la succession. Malheureusement il arrive que la belle-famille ne l’entende pas de cette oreille et recourt à la coutume pour procéder à un partage arbitraire de la succession.

Le législateur en modifiant le code a entendu encadrer un tant soit peu le recours à la coutume pour le partage de la succession. Il prévoit des conditions précises auxquelles le recours à la coutume peut être décidé. Cette décision nécessite l’accord du conjoint survivant et une autorisation judiciaire. Ceci à mon sens pourrait permettre de limiter les cas de recours à la coutume de façon systématique et de mauvaise foi .

L’exploration panoramique des changements apportés au code m’a permis de prendre la mesure de l’évolution juridique que constitue la démarche du législateur togolais. Cette réforme influencée par les recommandations internationales implique pour notre société la nécessité d’une rupture avec l’ancienne législation et tout ce qu’elle avait d’attentatoire à l’égalité. Pour que cette rupture s’opère la société civile doit œuvrer à la vulgarisation du texte. Dans cette société togolaise qui porte encore les stigmates de l’ancien code, l’adaptation au changement pourrait prendre du temps. Il n’est pas évident que le mari auréolé du titre de chef de famille et qui a toujours régné en maitre dans son foyer se résolve aujourd’hui à « partager le pouvoir ». Je souhaite pour ma part que le travail de vulgarisation ait un impact sur les générations à venir afin qu’elles s’approprient la loi pour une effectivité de l’égalité dans le mariage.